Pic du midi d’Ossau, seconde et troisième ascensions (1802)

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 Rivalité au sommet

Comment la rivalité des maîtres de forges Jean-Paul d’Angosse et Jean-Joseph d’Augerot se déplaça-t’elle sur le terrain du pyrénéisme.

Pic du midi d’Ossau. Palassou. Essais…, planche VIII [*].

La rivalité entre les maîtres de forge, Jean-Paul d’Angosse et Jean-Joseph d’Augerot, se poursuivit à travers leurs fils, Armand d’Angosse et Henri d’Augerot. Et sur un terrain inattendu : l’ascension du Pic du Midi d’Ossau. Bien dans l’air du temps, en ce début du dix-neuvième siècle, où savants et géographes explorent les Pyrénées, sur les pas de Ramond de Carbonnières [1], et de Palassou, avec la naissance de ce que l’on appellera plus tard le pyrénéisme.

Le Pic du Midi d’Ossau, un sommet mythique

Le Pic du Midi d’Ossau est le sommet emblématique de la vallée d’Ossau et des Palois. Visible de tous et longtemps jugé inaccessible. « Infaisable » selon le premier terme de la loi de Mummery [2].

En mai 1552, l’évêque d’Aire, M. de Foix-Candale, en séjour aux « eaux de Béarn, proches de Pau », organisa une expédition dans le but de monter « au sommet de la plus haute montagne, qui n’en est pas éloignée, et qu’on nomme les Jumelles ». Suivi de nombreux gentilshommes, de bergers, de paysans, de muletiers, il a pris soin de se munir d’une « robe fourrée » et de « crochets spéciaux et d’échelles ». Candale prétend bien être monté « plus haut que les nuages » et avoir atteint une station « voisine du sommet », mais l’expédition s’arrêta dans les pâturages du Col de Suzon, en vue des vraies difficultés… Les détails de cette tentative [3] sont relatés par Jacques-Auguste de Thou dans son Histoire universelle.

C’est sans doute un berger aspois ou ossalois qui réalisa la première ascension du pic, vraisemblablement à la demande des géographes Reboul et Vidal pour y construire une tourelle de triangulation. Le 20 août 1787, Junker note ainsi qu’il a pu réaliser une visée sur le « signal du Pic du Midy » [4].

La première véritable ascension connue, car relatée par écrit, est celle effectuée par un touriste, Guillaume Delfau, le 3 octobre 1797. Il fut aidé en cela par son guide, Mathieu, un berger aspois qui raconta à M. Delfau l’ascension réalisée par un autre berger quelques années auparavant [5]. Mathieu et Delfau grimpent, entre audace et découragement : Mathieu sent « le froid le pénétrer et ses forces l’abandonner » et Delfau s’écrie : « Que n’aurais-je pas donné dans ce moment, de n’être pas venu dans les Pyrénées » ! Réconfortés par une lampée de rhum, ils persistent. « Un dernier pas difficile entre deux précipices affreux », ils touchent la cime… Mais il faut songer à redescendre. Delfau rédige un dernier message :

« Je vous écris, mon ami, d’un endroit d’où il n’est pas certain que je revienne. Je donnerais , en ce moment, tout au monde pour n’y être pas venu… Si j’y reste, et que mon guide, plus heureux, puisse descendre du lieu où nous sommes, vous recevrez ce dernier adieu de votre ami ».

Lire le récit de Delfau sur le site Pireneas.

Armand d’Angosse et Henri d’Augerot

Fasciné par les écrits de Palassou et par le récit de Delfau, peut-être aussi poussé par la vanité, le comte Armand d’Angosse, 26 ans, réalisa la deuxième ascension « officielle » de l’Ossau le 2 août 1802, en compagnie de son fidèle domestique, François, d’un chasseur et de quatre jeunes bergers. Tous parviennent au sommet, non sans difficultés. Armand d’Angosse trouva l’escalade difficile :

« Le pic est accessible. S’il était plus fréquenté, on trouverait des passages moins dangereux ».

Quelques jours plus tard, le 14 août 1802, Henri d’Augerot, 36 ans, l’un des fils de Jean-Joseph d’Augerot, réalisa la troisième ascension. Il semblerait que la jalousie fût un mobile assez puissant pour le déterminer à tenter l’aventure, en vue de dénigrer l’exploit d’Armand d’Angosse :

« Les endroits les plus difficiles n’étaient rien pour mes compagnons de voyage, et, quoique moins exercé qu’eux, je n’ai nulle part éprouvé d’embarras. J’ai reconnu au contraire avec plaisir, pour moi-même, que tout ce que l’on disait des difficultés n’était qu’une fable et qu’on pouvait aisément parvenir au pic dans l’espace de deux heures, par le quartier de Suzou ».

En peu de temps, le pic « infaisable » était devenu accessible, et finalement une aimable promenade … À l’instar de Delfau, Angosse et Augerot écrivirent le récit de leur exploit.

Les récits d’Armand d’Angosse et d’Henri d’Augerot

Armand d’Angosse. Voyage au pic du midi de Pau, 2 août 1802

Henri d’Augerot. Récit de l’ascension du 14 août 180

 

 

 

 

 

 

 

Pyrénéisme

Le terme apparaît en 1898 sous la plume d’Henri Béraldi dans le préambule excursion biblio-pyrénéenne qui introduit le Tome I de Cent Ans aux Pyrénées [6]. Béraldi précise ce concept en 1902 :

« L’idéal du pyrénéiste est de savoir à la fois ascensionner, écrire, et sentir. S’il écrit sans monter, il ne peut rien. S’il monte sans écrire, il ne laisse rien. Si, montant, il relate sec, il ne laisse rien qu’un document, qui peut être il est vrai de haut intérêt. Si – chose rare – il monte, écrit et sent, si en un mot il est le peintre d’une nature spéciale, le peintre de la montagne, il laisse un vrai livre, admirable. »

– Pour quelques compléments, voir l’article « Pyrénéisme » dans l’encyclopédie en ligne Wikipedia.

Sources

– Armand d’Angosse, Voyage au Pic du Midi de Pau exécuté le 14 Thermidor de l’An X (2 Août 1802), 16 pages, imprimé à Paris (Imprimerie d’Antoine Bailleul, rue d’Helvétius, n°71) [Sans date, sans nom d’auteur]. In-8°.

Le texte d’Armand d’Angosse) est publié ici, à partir de sa réédition dans le n° 5 du Bulletin Alpin (janvier 1897, pp. 97-104), à la suite de la communication du récit à la revue par le Comte Henri Russell.

– Henri d’Augerot. Le récit de l’ascension de Daugerot sous forme d’un extrait d’une lettre écrite à Bernard Palassou a été publié par celui-ci dans ses Mémoires pour servir à l’histoire naturelle des Pyrénées (Pau, Vignancour, 1815, p. 35 à 39).

Image mise en avant

La vue mise en avant est tirée du modèle numérique du Pic du Midi d’Ossau réalisé, en  2016, par une équipe de géomètres.

Notes

[*] Gravure de Flamichon pour Palassou, Essai sur la minéralogie des Monts-Pyrénées, p. 130.

[1] Louis Ramond, baron de Carbonnières, homme politique, géologue et botaniste français, (1755-1827). C’est l’un des premiers explorateurs de la haute montagne pyrénéenne qui puisse être qualifié de pyrénéiste.

[2] Albert Frederick Mummery, né en 1855 à Douvres et mort le 24 août 1895 au Nanga Parbat, alpiniste et écrivain britannique. Il résuma l’évolution de la réputation sportive d’une montagne par la formule suivante : Un pic infaisable, la plus difficile ascension des Alpes, un pic facile pour dames.

[3] Histoire universelle de Jacques-Auguste de Thou depuis 1543 jusqu’en 1607. Tome 1, pp. 62 et sq. Sur le site de la BNF, Gallica.

[4] Robert Ollivier, Le pic d’Ossau, monographie, impressions et récits, 1948, Pau, p. 37-38. D’autres auteurs, notamment Léon Maury et Jacques Blanchet, estiment que c’est Junker qui fit construire la tourelle.

[5] Guillaume Delfau, Voyage au Pic du Midi de Pau, le 3 octobre 1797 par M. Delfau, 27 pages. – Autre publication : Éd. Cairn à Pau, 1997, avec une présentation de Claude Dendaletche.

[6] Henri Béraldi. Cent ans aux Pyrénées, 7 tomes édités de 1898 à 1904, réimpression par Les amis du Livre Pyrénéen, Pau, 1977.

Voir aussi

Bernard Palassou

Émile Pujolle