Tradition du Bois et du Métal en pays Nayais

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EXPOSITION

Article publié à l’occasion de l’exposition Tradition du Bois et du Métal en pays Nayais (juillet-août 2007)
Anciens ateliers de l’usine Gibert à Nay.

L’exposition créée par l’Association Fer et Savoir Faire, avec le partenariat de la Ville de Nay, proposait un parcours en deux grandes étapes :

– de la forge à la catalane aux nouveaux matériaux

– le bois dans la plaine à travers le meuble, le ski et les chapelets. Sous forme de parcours à travers objets, maquettes et photos, l’association a montré la richesse du patrimoine industriel ancien et contemporain de la région. Ici, sont retranscrits une partie des textes de cette exposition.

L’industrie du meuble dans la plaine de Nay

Les origines de l’industrie du meuble de la plaine de Nay seraient attribuées à l’abondance des matières premières, au savoir-faire accumulé sur place au cours de l’entretien des nombreux métiers à tisser et à la présence d’un marché local conséquent. Au cours de la seconde moitié du XIXe siècle toutefois, un changement d’échelle affecte cette activité : les marchés s’élargissent progressivement au niveau national et à l’Afrique du Nord et les essences exotiques se généralisent. Les établissements se multiplient alors à Nay, Coarraze et Bénéjacq. La diversité semble être le maître mot pour décrire l’industrie locale du meuble : diversité des établissement d’une part, de l’atelier familial à l’usine intégrée en passant par les associations d’ouvriers ou le recours au travail à domicile ; diversité des productions d’autre part, une grande variété de styles étant produits dans des ateliers pratiquant l’ébénisterie d’art ou une menuiserie plus commune.

Nay. Usine Naritsens.

Un impact social important

Durant l’entre-deux-guerres, le nombre d’ouvriers du meuble de Nay et sa région peut être évalué à 600 ; dans les années 50, ils sont encore entre 450 et 500. Parmi les industriels les plus importants, certains n’hésitent pas à ouvrir des magasins coopératifs pour leur main-d’œuvre, ce qui témoigne de l’importance de cette activité dans l’équilibre de l’économie et de la société locale. Les ouvriers du meuble sont par ailleurs les premiers dans cette région très rurale à se regrouper en syndicats. De nombreuses grèves interviendront au début du XXe siècle, préparant le terrain selon l’historien André Narritsens aux grandes grèves de 1937 dans le secteur du textile nayais.

La reconversion dans le négoce

A partir des années 60, les fabriques de meubles de la plaine de Nay, de tailles souvent trop modestes, sont confrontées à une concurrence accrue et subissent une crise importante. Pour tenter d’y remédier, les industriels et artisans se tournent de plus en plus vers le négoce, jusqu’à parfois abandonner toute activité de production. Les magasins fleurissent et se succèdent aux alentours de la gare de Coarraze-Nay, le long d’une véritable « route du meuble » où se bousculeront les acheteurs des Hautes et Basses-Pyrénées. Ces initiatives n’enrayeront toutefois pas le déclin de l’industrie locale du meuble. De nos jours, le LEP de Coarraze perpétue la tradition en formant les futurs ébénistes et artisans du meuble.

Les Villecampe : Équipe de France et fabricants de skis

Nay, berceau du Pyrénéisme

Les relations entretenues entre les industriels et la montagne ont toujours été étroites dans région de Nay. Durant les premières années du XIXe siècle, la conquête du Pic du Midi d’Ossau est ainsi devenue le théâtre symbolique de la rivalité entre le baron Armand d’Angosse, maître de forges d’Arthez-d’Asson, et le négociant nayais d’Augerot, son concurrent. Dans les années 1920, les industriels de Nay investissent de nouveau la montagne mais cette fois dans une toute autre ambiance : c’est dans la convivialité que cette haute société goûte désormais aux joies des cimes. Sous l’égide du docteur Lacq, fondateur du Ski Club Nayais, les grands noms du textile et du meuble s’adonnent alors à un sport encore confidentiel, le ski. La famille Villecampe est de la partie : Robert et Jules intègrent l’équipe de France de skis et sont sélectionnés aux Jeux Olympiques d’Hiver de 1936.

La fabrication du ski : un transfert d’activité

Pour produire de bons skis, qui à cette époque sont en bois massif, deux qualités sont requises : il faut être un skieur confirmé pour concevoir le matériel et savoir sculpter le bois pour le fabriquer. Issus de l’ébénisterie et grands champions, les Villecampe ont donc tous les atouts en main pour lancer cette nouvelle production à Nay. L’atelier familial produit dans un premier temps des skis réalisés en une seule pièce de frêne et obtient même l’autorisation de les louer à Gourette. De plus, la compétition de haut niveau met les Villecampe au contact des dernières innovations et c’est ainsi que la fabrication des skis lamellés collés, beaucoup plus résistants, est adoptées dans les années 40. Les skis Villecampe sont alors parmi les plus performants disponibles.

Une production qui restera artisanale

A la pointe du progrès, l’atelier Villecampe le restera après la guerre. le virage des skis en métal est ainsi parfaitement négocié et le V2 Zicral, du nom de l’alliage utilisé, est un modèle perfectionné et des plus compétitifs face à la concurrence alpine. La clef du succès réside dans une multitude d’innovations que le contexte industriel béarnais a permis : les Villecampe amorcent alors une collaboration étroite avec l’atelier de sonnailles Daban de Nay ou la fonderie Laprade d’Arudy. De même, les techniques en cours dans les usines d’aéronautiques sont parfois d’un grand secours. Dans les années 60, alors que l’atelier est déménagé à Mirepeix, s’engagera la production des skis en plastiques. La production restera néanmoins toujours limitée aux skis de compétition pour lesquels l’équipe professionnelle Pyrénéa assurera la promotion sur les pistes. La production industrielle se cantonnera en France aux Alpes dont le domaine skiable a pu profiter de l’essentiel de la clientèle parisienne lors de la démocratisation des sports d’hiver.

De l’artisanat à l’industrie : chapelets et peignes de buis

Le buis : une richesse du piémont pyrénéen

Le sanctuaire de Betharram.

Abondant sur les pentes des montagnes du piémont, le buis fut exploité de tout temps pour la fabrication de manches de couteaux et autres outils. Dès le milieu du XIVe siècle, on signale l’existence d’un marché fructueux des peignes de buis des Pyrénées pour les marchands toulousains. Ceux-ci vont les vendre également dans le Limousin, mais aussi dans des contrées plus lointaines comme les Flandres ou les Pays-Bas. Dans les années 1860-1870 avec la mécanisation des ateliers et surtout l’importance que vont prendre les pèlerinages de Lourdes et de Bétharram notamment, les ateliers de fabrication de chapelets vont fleurir dans la plaine de Nay.

Dès le milieu du XVIIIe siècle, les archives font mention de la fabrication des chapelets pour le petit buis, de peignes, moules et boutons pour le bois plus gros à Asson, Lestelle, Igon, Coarraze et à Saint-Pé-de-Bigorre. Le buis est également travaillé dans les vallées d’Ossau et d’Aspe. Cette production peut être considérée comme une véritable richesse pour les communes ; aussi engendre-t’elle de multiples trafics de matières premières comme en témoignent les nombreux procès qui y font référence.

Bûcherons et chapelétaires

Le buis poussant dans des terrains de montagnes escarpées, la coupe était difficile. Les fagots, les barres , étaient souvent descendus dans des rigoles aménagées dans la pente, sinon à dos d’hommes et de mulets. Les bûcherons travaillaient sous les ordres d’un contremaître. L’exploitation était dirigée par les marchands spécialisés et dirigés vers les fabricants : chapelétaires, artisans fabricant aussi des boutons. Une multitude d’ouvriers spécialisés travaillaient dans les ateliers (scieurs, traceurs, affûteurs, trieuse, monteuses…) Les chapelets étaient enfin montés par des travailleuses à domicile et les enfants à leur retour de l’école.

Exportés dans le monde entier

Le buis, facile à tourner, et résistant à la fois a permis la fabrication de perles pour les chapelets et la passementerie. D’abord travaillé sur des machines à pédale, les perles sont ensuite réalisées sur des métiers actionnés par l’énergie hydraulique. En 1729, on rencontre ainsi 11 ouvriers en chapelets à Montaut ; en 1789, ils sont déjà 33. Ce métier se transmettait de père en fils. Dès 1832, Thomas Saturnin regroupe à Montaut plusieurs artisans tourneurs et créé la première véritable usine de chapelets. Devant l’augmentation de la demande, son successeur, Navarre, ouvrira plusieurs ateliers notamment en Vallée d’Aspe. Il sous-traitera ensuite dans divers ateliers situés à Nay (Pédarré), à Asson (Cazarré). A cette époque et devant l’importance de la demande, on peut parler clairement « d’aire » du chapelet dans notre région : petits ateliers (par exemple, 32 ateliers à Igon) ou plus importants tels que Labarbère à Asson, Berdouley à Arthez-d’Asson, ou encore Horgues à Capbis Les chapelets étaient vendus sur les grands lieux de pèlerinages, notamment Lourdes et Bétharram, mais étaient aussi exportés dans toute l’Europe (Italie, Suisse, Espagne, Portugal…), aux États-Unis, ou encore vers Constantinople, La Mecque ou encore Alexandrie.

Les forges après les forges

La fermeture des forges

En 1866, les forges d’Arthez-d’Asson, qui fonctionnaient depuis plusieurs années au ralenti, ferment définitivement leurs portes. L’arrêt de la production coïncide symboliquement avec l’arrivée du chemin de fer dans la plaine de Nay : les forges à la catalane sont restées à l’écart de l’essor de la grande métallurgie des hauts-fourneaux et de l’acier et ne peuvent plus lutter contre cette concurrence dans un marché national toujours plus unifié. En 1875, la prise d’eau des forges est emportée. Hormis l’activité de cloutiers de moins en moins nombreux, l’industrie du fer dans la vallée de l’Ouzom ne se concentre désormais plus que dans l’exploitation de la mine de Baburet dont la voie de chemin de fer reliant Coarraze à Ferrières est inaugurée en 1930.

Aménagements hydro-électriques

Arthez-d’Asson. Usine Prat

(En 1912, les frères Prat qui exploitent une scierie à marbre et une fabrique de chapelets à Arthez-d’Asson acquièrent le canal et le site des forges. Leur objectif est d’alimenter leurs usines en électricité en édifiant une petite centrale en lieu et place des ruines de la ferrarie. Le projet est finalement ajourné au profit de la construction à partir de 1930 d’une centrale d’une puissance plus importante. Située en aval des anciennes forges, elle bénéficie en effet d’une chute d’eau beaucoup plus conséquente. La nouvelle centrale, qui alimente les mines de Baburet, est exploitée par les mêmes frères Prat qui ont créé en 1928 une Société Anonyme des Forces Motrices de l’Ouzom. Il est un temps question de relancer grâce à elle l’activité métallurgique dans la vallée en créant une unité d’électrolyse, mais une telle usine ne verra jamais le jour.

Le patrimoine

Ironie du sort, mais le projet qui devait ressusciter la sidérurgie de la vallée de l’Ouzom a peut-être en partie contribué à en sauvegarder les plus précieux témoignages, les vestiges de la ferrarie créée en 1588. Si le site a échappé à une destruction frontale, il n’en a pas moins subi les dommages du temps. Il est néanmoins encore possible d’identifier le creuset et l’emplacement des trompes à la catalane. Le malh est conservé au Musée Pyrénéen de Lourdes. L’intérêt historique est reconnu pour ce site qui a intégré en 2004 l’Itinéraire Culturel Européen La Route du Fer. Une mise en valeur plus conséquente des vestiges permettrait d’en faire une véritable étape patrimoniale digne de son riche passé.

TURBOMECA, leader mondial de la turbine à gaz

Les Basses-Pyrénées, ultime refuge de l’industrie aéronautique

Le Béarn a toujours été une terre d’élection pour l’aviation. Au début du siècle, le ciel palois résonne ainsi des exploits des frères Wright qui forment au sol des pilotes dans leur école d’apprentissage du Pont-Long. Si de grands « As » font leur premières armes au dessus de la cité béarnaise, la construction aéronautique peine néanmoins à quitter la région parisienne. C’est à la Seconde Guerre mondiale qu’il incombera de sceller durablement cette industrie au Béarn et au Sud-Ouest en général : à partir de 1937 en effet, la menace est telle que divers constructeurs et équipementiers investissent les communes d’Anglet et de Bidos. Ils sont suivis en 1940 par l’ingénieur d’origine polonaise Joseph Szydlowski, créateur à Boulogne-Billancourt, puis Mézières-sur-Seine de la société Turbomeca produisant des compresseurs pour les chasseurs Dewoitine.

L’épanouissement de Turbomeca dans sa terre d’accueil

Turbomeca. Joseph Szydlowski

Installée dans un premier temps à Saint-Pé-de-Bigorre, l’usine est transférée en 1942 à Bordes, un choix qui s’avèrera définitif. Après quelques années de troubles intenses contraignant Joseph Szydlowski, de confession juive, à s’exiler en Suisse, Turbomeca s’oriente vers la production de ce qui restera son emblématique marque de fabrique : la turbine à gaz. Les différents modèles élaborés par la société ont depuis équipé de nombreuses générations d’avions et plus encore d’hélicoptères. Parallèlement, l’entreprise a connu une croissance quasi-continue. Une seconde usine a ainsi été créée en 1965 à Tarnos tandis que le site de Bordes s’est progressivement imposé comme un site industriel majeur du département avec aujourd’hui plus de 2 500 salariés en France et 5000 dans le monde. Prochaine étape en vue : le futur site industriel de Bordes, Éole.

Le rayonnement économique et humain de Turbomeca

L’implantation et le développement de Turbomeca ont ouvert à toute une génération confrontée aux transformations de l’agriculture et au déclin des industries traditionnelles de nouvelles perspectives d’emplois et de promotion, par le biais notamment du centre d’apprentissage. Les opportunités se sont également diffusées dans les villages autour de l’usine, où de multiples ateliers de micromécanique ont pu éclore. En maintenant sur place la population locale, en fixant de nouveaux habitants venus de la France entière et par le jeu de la sous-traitance, Turbomeca a largement contribué au dynamisme de la plaine de Nay, renouvelant, avec quelques kilomètres et années d’écart, la tradition métallurgique et l’image de « Petit Manchester » naguère associées à ce territoire.

Revue de presse

– Voir : L’Artisanat n° 123, p. 15

21 février 2008 par Sophie Escudé-Quillet