François Deltel, garde-bois (1741-1823)

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Un homme de confiance du marquis d’Angosse

Nous avons conté l’histoire de François Deltel, garde bois du marquis d’Angosse aux prises avec les chevriers d’Arbéost, dans l’affaire du 19 novembre 1778. Mais qui était François Deltel, garde-bois ou garde-forêt, dont le patronyme échappe à ces vallées ?

Ce furent d’abord des forgeurs basques, puis, à partir de 1663, des Ariégeois qui construisirent et firent battre les forges de la vallée de l’Ouzoum. Les Incamps puis les Angosse allaient quérir cette main d’œuvre spécialisée dans leur régions d’origine. Ils recrutèrent aussi, hors de la vallée, les commis, les chefs-mineurs et les gardes.

La question des bois

Les forges étaient très gourmandes en bois pour la fabrication du charbon de bois : un hectare de forêt par tonne de fer produite [1] ce qui demandait à l’exploitant des réserves considérables en forêts et taillis exploitables. Jean Paul d’Angosse possédait en propre près de 2000 ha de forêts et avait la jouissance exclusive d’environ 2000 autres.

Cette exigence se heurtait aux besoins des paysans qui souhaitaient faire paître leurs chèvres dans ces bois. Et donc portaient atteinte aux jeunes pousses. Ils coupaient également du bois pour construire leurs maisons ou leurs étables, voire tout simplement pour se chauffer [2].

Le garde-bois François Deltel

Le maître des forges devait ainsi pour assurer la pérennité de son exploitation gérer et surveiller la source de matières premières constituée par la forêt.

La mission de surveillance était celle d’un garde bois. Cette tâche eut été difficile pour un autochtone confronté à la misère et à l’hostilité de ses congénères, aussi fallait t-il pour assurer un maximum d’efficacité recruter un « étranger » ; c’est ce que fit Jean Paul d’Angosse. Ce garde-bois, il le trouva à presque 400 km de ses mines, dans le Rouergue que nous appelons aujourd’hui Aveyron.

Les recherches effectuées à ce jour ne permettent pas de savoir pourquoi cette région et pourquoi cet individu.

Des pistes de réflexion s’offrent à nous. François Delteil (il y avait un « i » dans son nom, il s’est perdu en « remontant l’Ouzoum ») était né le 8 novembre 1741 à Loupiac [3] en Rouergue. Il était le fils de Jacques et de Jeanne Fourgous, brassiers [4]. Si l’on consulte une carte de l’Aveyron de l’époque on constate que des mines étaient implantées près du lieu de naissance de François (Asprières, Aubin, Firmy, Flanhac). On peut imaginer que M. d’Angosse avait des « intérêts » dans ces mines qui lui ont permis de rencontrer François et de le ramener en tant qu’ « homme neutre » dans sa forge. Selon les actes en notre possession aucun membre de sa famille ne semblait être mineur, il est vrai que ces actes aussi sont « pauvres » en renseignements.

François Deltel, selon son acte de mariage [5], arriva sur le site en 1775, il « prit femme » le 28 avril 1779 en la personne de Doumenge Pierine du lieu d’Arbéost ; la cérémonie fut célébrée « aux Ferrières d’Aucun [6] » par le prêtre chapelain de la forge de Loubie [7].

L’un des témoins est Étienne Soulié, procureur à la minière ce qui signifie probablement qu’il en est le « commis », le fondé de pouvoir de Jean-Paul d’Angosse, chargé du matériel, de la pesée du minerai extrait par chaque couple de mineurs, de son grillage et de son transport vers les forges de la vallée, Nogarot et Saint-Paul.

Un autre témoin, Pierre Mathebat, est cloutier : il y avait beaucoup de cloutiers aux Ferrières d’Aucun ; ils utilisaient le fer que leur vendait les maîtres de forges.

L’acte de mariage nous apprend aussi que François Deltel habitait la forge de Loubie. Cette forge, la plus ancienne de la vallée de l’Ouzom n’était plus qu’un martinet servant de logement aux commis depuis la construction de la forge de Nogarot vers 1663.

Enfin François Deltel savait signer. Mais on sait aussi qu’il savait écrire, comme en témoigne son rapport « contre ceux qui ont introduit les chèvres dans le bois de Béost, qui les ont enlevées de force au garde forêt, et qui lui ont fait des menaces » écrit le 19 novembre 1778, cinq mois avant son mariage. Il est amusant de constater que sa future épouse, « Dominique Pierrine dite Domenge », est entendue comme témoin lors de l’audition du 12 janvier 1779 :

dépose qu’il y a environ un mois qu’elle entendit dire à la suite de l’arrettement des chevres dont il s’agit par des particuliers d’Arbéost qu’elle ne connoit pas étant d’un quartier éloigné que les habitants d’Arbéost du quartier d’en bas [8] valoient bien peu, puisqu’ils ne s’étoient pas défaits du garde foret du sieur Dangosse.

On pourra remarquer que le conflit avec certains chevriers d’Arbéost ne l’empêcha pas de s’établir dans le voisinage et d’y rester : il mourut aux Eschartès le 12 août 1823, à 82 ans


Voir aussi

Le garde-forêt et les chevriers d’Arbéost. François Deltel aux prises avec des habitants d’Arbéost.

Chèvres interdites. Un document communiqué et commenté par Édouard Lacoue, d’Arthez-d’Asson.

L’image mise en avant

Lithographie d’Henri Pingret. Réalisées à la suite d’un voyage dans les Pyrénées, vers 1838, les lithographies de Pingret montrent des personnages déjà «folklorisés» par le développement du tourisme aristocratique dans les Pyrénées à cette époque. Il est peu probable que les chevriers d’Arbéost aient eu des tenues aussi «élégantes» en 1778.

Plusieurs lithographie de Pingret sont en ligne sur le site de la bibliothèque numérique patrimoniale de Toulouse.

Notes

[1] C’est une approximation commode et parlante : pour produire une tonne de fer, on utilisait grosso-modo le charbon de bois provenant d’un hectare de taillis de 18 ans d’âge ou l’équivalent. Pour les cent tonnes produites par une forge en un an – c’est une moyenne – il fallait 100 ha. Pour renouveler ces 100 ha sur 18 ans, il fallait donc pouvoir compter sur 1800 ha de forêts exploitables par forge.

[2] D’innombrables plaintes sont déposées par les maîtres de forges contre des particuliers, parfois pour des motifs qui peuvent nous sembler insignifiants, la coupe d’un arbre de quelques pouces de diamètre par exemple. Les Archives départementales conservent les registres de la maîtrise des eaux et forêts du XVIIIe siècle dans la série B.

[3] Registre paroissial de Loupiac. Loupiac appartient depuis 1971 à la commune de Causse et Diège(Aveyron)

[4] Brassier. Ouvrier agricole payé à l’année, moitié en espèces, moitié en nature.

[5] Registre paroissial de Ferrières d’Aucun. Acte de mariage de François Deltel et Doumenge Pierine.

[6] Les Ferrières d’Aucun sont alors un hameau d’Aucun. Ferrières ne devint une commune autonome qu’en 1790.

[7] Jean-Paul d’Angosse recrutait et entretenait un ou deux prêtres chapelains, pour les forges d’Asson et de Loubie. Dans la haute vallée de l’Ouzom, les Eschartès était un hameau séparé de sa paroisse de Louvie-Soubiron par cinq heures de marche. Jean-Paul d’Angosse, marquis de Loubie, propriétaire de 85 % du territoire de la communauté. veillait ainsi au salut de l’âme de ses ouvriers, de ses charbonniers, des habitants de ses terres… En 1778, l’ abbé Bonnecaze était le chapelain de la forge d’Asson. La signature du chapelain, sur l’acte de mariage de François Deltel, semble être Prat.

[8] Hougarou, le quartier d’en bas, est en face des Ferrières, sur la rive gauche du ruisseau de Hougarou.

11 juin 2008 par Jean-Jacques Saint Sernin. Mis à jour en août 2022.