Association Fer et Savoir-Faire - Les forges d'Arthez d'Asson · © stockli

La forge d’Arthez d’Asson

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Cette ferrarie fut successivement nommée forge d’Asson, forge du bas puis forge de Saint-Paul, forge d’Angosse et enfin forge d’Arthez-d’Asson. Située en contrebas du Château des Forges, elle fut la plus prestigieuse des forges de la vallée de l’Ouzom.

La forge d’Asson et les minières de Larreulet en 1588. Fonds de carte IGN. © Émile Pujolle.

Sur fond de carte IGN moderne au 1/25000, les lieux cités dans l’acte de 1588 : la maison deu Bordiu appartenant à Antoine d’Incamps, l’artigue de Croste, rive gauche de Loson (l’Ouzom) où est bâtie la ferrarie (ou forge) – non loin du molin d’Arressec – et les minieres de Larreulet.

Sur la rive gauche de l’Ouzom, au sud du village d’Arthez-d’Asson, en bordure de la route du quartier des Aoules et au pied du château des Angosse, c’est une propriété privée appartenant à la Société hydro-électrique du Midi (Shem) depuis janvier 2011.

Coordonnées géographiques : 43.081887, -0.251786.
Altitude : 365 m.

 

État actuel

C’est la forge la mieux conservée des quatre forges à la catalane des Angosse. Les bâtiments n’ont plus de toitures mais la plupart des murs sont en place, dans un bon état de conservation.

Le plan de la forge (Pierre Machot, d’après le plan de Gilles Parent, 1999). © Pierre Machot.

VOIR G. PARENT. Plan de la forge d’Asson

Le plan est des plus classiques pour une forge à la catalane : un bâtiment d’une douzaine de mètres de côté où l’on retrouve l’emplacement des dispositifs techniques principaux : trompes, foyer d’affinage, mail et bassin alimentant la roue hydraulique du mail. Les voûtes et les ouvertures qui permettaient le passage de l’eau, de l’arbre de roue, des systèmes de commande des vannes sont particulièrement visibles.

Le circuit hydraulique dans son ensemble est bien conservé : canal taillé dans la roche à son origine au pont des Aoules, traces de l’ancien barrage de la prise d’eau, et surtout un pacheirou, réservoir alimentant la roue hydraulique, en pierres taillées de grande dimension d’une facture remarquable. Ce canal, de 275 m de long est réutilisé par l’usine hydro-électrique d’Arthez d’Asson, propriétaire du site.

Un bâtiment contigu abritait le martinet parant les fers en pièces plus fines que le gros mail de la forge. On y trouve une soucherie en pierre taillée et différentes pièces de fer constituant l’attirail de ce martinet. Les ruines des anciennes halles à charbon et du magasin sont également visibles.

Le sol de la forge qui a subi depuis son abandon de nombreuses inondations est recouvert d’une couche de sables et de galets de 1 m à 1,50 m d’épaisseur. Les ronces et les arbres qui ont envahi le site sont en voie de dégagement. De grandes accumulations de scories sont éparses aux alentours.

Antoine d’Incamps et la reconstruction de la forge d’Asson

Au début du XVIe siècle, il existait une forge, au bord de l’Ouzom, dans le quartier dit d’Arthez-decà sur le territoire d’Asson. Cette forge aurait été détruite par un incendie en 1548, ainsi que le rapportait Armand d’Angosse [1], le 6 thermidor an VI (24 juillet 1798), dans un mémoire qu’il adressait au Conseil des mines de la République [2], en ajoutant d’ailleurs que son origine se perd dans la nuit des temps et en 1548, n’était même pas connue [3].

En 1587 ou 1588, Antoine d’Incamps, capitaine de Jeanne d’Albret et neveu du capitaine Jean de Bordiu, dit Pocqueron sollicita la permission [4] de rebastir une ferrarie en sa propre terre aperade l’artigue de Crosta ( de rebâtir une ferrarie sur sa terre appelée artigue de Croste). L’acte d’affièvement  précise en outre que cette artigue [5] de Croste est près du moulin de l’Arriusec [6] dudit capitaine Incamps et qu’il a l’autorisation de prendre l’aygue deu dit Loson (de prendre l’eau de l’Ouzom) et le minerai des minières Larreulet [7].

L’affaire fut examinée dès mars 1588 et le 19 août, une commission se transporta sur les lieux. Là, furent entendus les plus anciens personnadges et los mynerous et mestes experts de la haute Navarre et Bigorre. Ceux-ci trouvèrent le bastiment de ferrere, et une fornade de fer et les trous de la mine avec des traces d’exploitation. Le 17 décembre 1588, Antoine d’Incamps obtint l’acte d’affièvement qui l’autorisait à rebâtir cette forge en utilisant l’aygue de Loson necessari seguien sous documens anciens et possession continuade per sous pay gran et pay (en utilisant l’eau de l’Ouzom nécessaire, et ce d’après ses droits anciens et une possession continue par son grand-père et son père). Il n’avait toutefois pas fourni les anciens titres qui pouvaient justifier sa demande [8]. Il s’agit donc de la reconstruction d’une forge à eau – sans doute une moline à fer – construite à une date inconnue, antérieurement à 1548. Il n’est guère possible d’en dire plus. Mais il est probable que la reconstruction de la forge d’Asson a également abouti à une forge de type ferreria basque : reconstruite environ 80 ans après la forge de Louvie, où la métallurgie a été mise en place par des forgeurs basques, et située sur l’itinéraire reliant cette forge de Louvie à la plaine de Nay, il serait bien étonnant qu’il en fut autrement.

Antoine d’Incamps, dans sa demande, avait indiqué le coût à prévoir pour la reconstruction de la forge : 14 000 livres, une somme considérable de l’ordre d’un million d’euros actuels – voir article Antoine d’Incamps note 3 .

La mention de l’intervention de mineurs et maîtres experts de Haute-Navarre et de Bigorre est également un indice de l’emploi des techniques « basques » en Béarn et en Bigorre.

L’évolution technique au dix-septième siècle

Antoine d’Incamps mourut en 1614, mais, en janvier 1612, son fils, François d’Incamps, avait acquis la seigneurie de Louvie et tous les droits qui en dépendaient. Il devint ainsi possesseur de la forge de Louvie et alimenta désormais sa forge d’Asson avec le minerai tiré de la mine de Baburet. Le domaine des Incamps comprenait désormais plus de 3000 ha.

Vers 1660, Louis d’Incamps (1609-1689), petit-fils d’Antoine d’Incamps, entreprit de transformer la forge d’Asson- et celle de Louvie – en les munissant de fourneaux et trompes du pays de Foix. Les transformant ainsi en usines à fer que l’on appellera plus tard (vers 1775) forges à la catalane.

Une forge telle que celles d’Asson ou celle de Louvie était, jusque là, une mouline à fer, munie de soufflets (ou barquis) et d’un marteau actionnés par des roues hydrauliques. La méthode utilisée pour réduire le minerai en fer par la méthode directe était très certainement celle de la forge à la biscaïenne ou de la forge basque, comme l’indiquent plusieurs documents précisant les noms de forgeurs, de patronymes basques, ayant travaillé dans les forges de la vallée de l’Ouzom.

Or, depuis 1630, la méthode utilisée dans les Pyrénées évoluait : l’introduction de la trompe hydraulique, venue d’Italie et la modification du foyer de réduction avaient permis de diminuer les coûts d’entretien et d’augmenter le rendement des opérations. La trompe hydraulique est bien moins coûteuse et bien plus facile à entretenir que des soufflets avec leur roue hydraulique, leur système de cames et surtout les très coûteuses peaux de bœufs, spécialement apprêtées qui les habillaient. Le nouveau foyer – ou bas-fourneau – qui lui était adjoint se révélait plus performant que le foyer biscaïen.

Louis d’Incamps fit appel en 1662 ou 1663 à des forgeurs et des maîtres du « Pays de Foix », pour transformer ses forges. Cette date est précisée par la procédure de 1664 contre les meurtriers de l’abbé de Sauvelade. Peu auparavant, les forgeurs basques avaient été renvoyés et les spécialistes des soufflets, les barquiniers, s’étaient retrouvés au chômage. Les trois frères Bartouille, barquiniers, d’Asson, étaient parmi les seize inculpés. Lors de son interrogatoire, l’épouse de l’un des barquiniers précise :  « il [son mari, l’ainé des frères Bartouille] dit qu’il s’en allait en Espagne, vers les forges de Biesque ou Riesques [9], pour y travailler quelque chose, le sieur de Loubie ne lui donnant plus de l’emploi depuis qu’il se servait des trompes au lieu de soufflets [10] ».

Forge d’Asson. Passage de l’arbre de roue. Vestiges de l’ancien arbre en noyer mis en place vers 1850.

La forge d’Asson fut entièrement reconstruite avec un soin particulier. Les nouveaux bâtiments en maçonnerie étaient munis de parements layés et bouchardés en « marbre d’Arudy » provenant très probablement de l’ancienne carrière du Castet-Mauhèit. Les bassins – les pacheirous – des trompes et de la roue du marteau furent formés de vastes dalles de calcaires parfaitement appareillées. Le baron de Dietrich qui visita la forge un siècle plus tard note que les trompes étaient en pierre. La nouvelle forge fut munie de vastes charbonnières.
C’est peut-être l’ancienne forge qui fut transformée en martinet, mais avec un soin particulier : la soucherie du marteau est en pierre, reposant sur une charpente considérable en bois.

C’est cette forge qui fonctionna « à la catalane » jusqu’à la fin de l’activité métallurgique en vallée de l’Ouzom, vers 1866.

Au XVIIIe siècle, la visite de Dietrich

En 1778, Bernard Palassou  publie l’inventaire des ressources minérales de la vallée de l’Ouzoum mais ne fait que signaler la forge d’Asson.

Le 11 janvier 1785, Philippe-Frédéric de Dietrich est nommé commissaire du roi à la visite des usines, des bouches à feu et des forêts du royaume. La  Description des gîtes de minerai, des forges et des salines des Pyrénées [11] qu’il publia en 1786 contient le compte-rendu de sa visite de la vallée de l’Ouzom  et en particulier de la forge d’Asson.

L’ouvrage de Dietrich se répartit en dix mémoires. Le septième mémoire, Description des Mines, Forges et Salines du Béarn, décrit en particulier la vallée d’Asson, les mines de fer de Loubie, la forge de Saint-Paul.

(p. 385). La forge n’est éloignée du village de Saint-Paul d’Asson que d’environ 600 toises ; elle est au bas et attenante au château habité par M. le Baron d’Angos et M. le Marquis d’Angos fils. Cette propriété n’est qu’un fief et point une terre ; néanmoins elle donne à M. d’Angos des droits considérables sur les forêts des communautés d’alentour. Ces Messieurs ont dans leur fief des forêts en propriété, bien gardées et bien administrées : ils ont de plus l’usage des forêts de Saint-Pé et de quelques villages de la vallée d’Azun, quoique les montagnes où sont ces bois soient de la Bigorre. Ils y font faire le charbon dont ils ont besoin, et empêchent même que ces communautés ne vendent celui qu’elles y fabriquent ; de manière que les gens de Saint-Pé et les autres ne peuvent en faire que pour leur usage, et qu’il ne leur est pas permis d’en exporter. Ce droit est assuré à MM. d’Angos par plusieurs arrêts. […].

M. le Baron d’Angos et M. le Marquis d’Angos fils : Étienne d’Angosse (1693-1785) et Jean-Paul d’Angosse (1732-1798).  Étienne d’Angosse est mort le 5 mai 1785. Dietrich a donc visité la vallée de l’Ouzom entre janvier et mai 1785.

(p. 385). Il y a un martinet attenant la forge de Saint-Paul, où l’on fait de la rondine ou verge ronde, depuis le diamètre de sept lignes jusqu’à celui de deux lignes et  demie. La première se vend vingt livres le quintal ; la seconde se paie vingt-cinq livres ; elle est si fine qu’il en entre soixante au quintal.

Les grosses rondines ont un diamètre de 7 lignes, soit 15,8 mm et les petites de 2,5 lignes , soit 5,6 mm. Si on admet que Dietrich a utilisé dans ses estimations le quintal des forges de 41 kg, à raison de 60 rondines de 2,5 lignes par quintal, on calcule que la longueur d’une telle rondine est d’environ 3,50 m.
Quant au prix de 25 livres par quintal, avec les réserves habituelles sur un tel calcul, on trouve une équivalence du prix à la tonne de 10650 € (de 2022). À comparer avec le prix moyen de l’acier ordinaire, 1600 € la tonne en 2021.

(p. 386). La trompe de la forge de Saint-Paul est en pierre. La forge de Nougarot est bâtie sur la même rivière à 2700 toises au dessus et au sud de celle de Saint-Paul, sa trompe est en bois.
Ces deux forges ne manquent jamais d’eau. Elles sont fort bien construites.

Chaque forge fait dans les vingt-quatre heures ses quatre massés du poids d’environ 315 livres chacun ; de sorte qu’on peut évaluer ces quatre massés à douze quintaux et demi.

Un quintal contient 100 livres. Un massé aurait donc un poids de 130 kg si Dietrich utilise le quintal des forges de 41 kg. Ou de 154 kg, s’il utilise le quintal du roi de 49 kg.

(p. 388). On peut évaluer la fabrication des deux forges d’Asson à 4400 quintaux, ou environ 1400 massés.
[…]. Le quintal de fer ordinaire se vend jusqu’à 18 livres ; mais en calculant les crédits et le transport des fers à Nay et Saint-Pé, on peut tabler sur 17 livres.

Chaque forge tournerait donc autour de 175 jours par an, soit environ 6 mois. Mais il n’est pas certain qu’elles chôment autant l’une que l’autre.
La fabrication de 4400 quintaux de fer par les deux forges de Saint-Paul et de Nougarot, rapporterait donc, à raison de 17 livres par quintal, 74 800 livres par an. Soit, avec toujours les mêmes réserves sur une équivalence en euros de 2022, environ 1 320 000 €.

(p. 390). Le bon marché de la mine, les avantages qu’a M. le marquis d’Angosse relativement aux charbons, font de son établissement l’un des plus solides et des plus utiles du royaume.

Pendant la Révolution

VOIR, dans l’article «Forges de la vallée de l’Ouzoum» :  La période révolutionnaire

La forge d’Asson au dix-neuvième siècle

La forge d’Asson sur le cadastre napoléonien levé en 1825.
Les écuries du château ne sont pas encore construites.

 

à suivre…

Articles connexes

Notes

 

[1]  Armand d’Angosse (1776-1852) seconda son père Jean-Paul d’Angosse (1732-1798) dans la gestion des forges de la vallée de l’Ouzom pendant la Révolution.

[2] Archives nationales, F14 4458, Lettre d’Armand d’Angosse au Conseil des mines, 6 thermidor an VI ( 24 juillet 1798).

[3] Des traces d’activité sidérurgique existent toutefois dans le vallon de l’Arriusec, affluent de l’Ouzom, à l’aplomb de la mine de Larreulet. Il ne pourrait, éventuellement s’agir, à cet emplacement, que des traces d’une ancienne forge à bras, puisque l’Arriusec, dans cette partie inférieure de son cours n’a d’eau qu’exceptionnellement, en périodes d’orages ou de fonte des neiges.

[4] A.D.Pyr.-Atl, B 808, Actes du conseil souverain, f° 99-102 et B 809 copie du même acte augmentée de quelques ajouts, f° 468-477.

[5] Artigue : prairie humide créée sur une zone en bordure de rivière.

[6] L’Arriusec, affluent de l’Ouzom sur sa rive droite se jette dans l’Ouzom à peu de distance de l’artigue de Croste. Comme son nom l’indique, ce torrent ne charrie que peu d’eau (en raison d’une perte importante en amont dans une diaclase).

[7] La mine de Larreulet est située sur la rive droite de l’Arriusec à 200 m environ au dessus du fond du ravin.

[8] On peut avoir des doutes sur la réalité de ces titres : Antoine d’Incamps héritait de son oncle, le capitaine Pocqueron et non de son père.

[9] Probablement : Biescas, en vallée de Tena, prov. de Huesca, Espagne.

[10] Abbé Bonnecaze, « Variétés béarnaises. Précis des transports et informations faites sur l’assassinat et la mort du sieur de Bouyer, prêtre, abbé de Saubalade », Bulletin de la société ses sciences, arts et lettres de Pau, IIe série, tome 34, 1906. p. 34

[11] Baron de Dietrich, Description des gîtes de minerai, des forges et des salines des Pyrénées, suivi d’observations sur les fers mazé et sur les mines des Sards en Poitou, première partie, 1786, Éditeurs Didot et Cuchet, 600 p., pp. 384-391. (consultable sur : Numistral ou sur Gallica). Il est extrêmement rare que les trompes soient en pierre. Généralement les arbres et la caisse sont en bois. Peut-être Dietrich ne parlait-il que du pacheirou ?

Mise à jour 8 avril 2023. 11 janvier 2008 par Émile Pujolle.